Interview du Dr etienne Lengliné, de la Commission de la Transparence

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« Tout ce qui concerne l’accès aux médicaments et le prix de ceux-ci n’entre pas dans nos prérogatives. »

Ces derniers mois, la Commission de la Transparence de la Haute Autorité de Santé (HAS) a fait l’objet de critiques, de la part de médecins comme d’associations de malades en onco-hématologie. Il est reproché à cette commission, qui est chargée d’évaluer les nouveaux médicaments en vue de leur prise en charge par l’Assurance Maladie, d’avoir empêché, par ses avis, l’accès des patients à plusieurs nouveaux traitements. L’un des vice- présidents de la Commission de la Transparence, le Dr Étienne Lengliné, qui est hématologue, a accepté de répondre à nos questions. Il précise le rôle exact de la commission, plus restreint que ne le disent souvent ses détracteurs, et revient sur les incohérences des modalités actuelles d’évaluation et d’accès aux médicaments innovants.

Quelle est votre activité médicale ?

Je suis hématologue, praticien hospitalier à l’Hôpital Saint-Louis à Paris depuis un peu plus de dix ans. J’exerce dans le service d’hématologie adulte où je suis essentiellement des patients atteints d’hémopathies myéloïdes. J’ai aussi un diplôme de réanimateur médical, mais mon activité dans ce domaine se limite aujourd’hui essentiellement à mes travaux de recherche.

Comment êtes-vous entré à la Commission de la Transparence ?

J’ai tout simplement été contacté par la HAS, sans avoir auparavant fait acte de candidature. Je dois reconnaître que, à l’époque, je ne savais pas réellement ce qu’était cette commission. Je connaissais mal aussi les conditions d’accès au marché des médicaments et le monde de l’industrie pharmaceutique. Mais j’ai accepté. Je fais actuellement mon deuxième mandat de trois ans.

Pour quelles raisons avez-vous accepté de devenir membre de la Commission de la Transparence ?

Quand on est praticien hospitalier, on connaît mal le système et les procédures de mise sur le marché des médicaments, la façon dont ceux-ci sont évalués par les autorités de santé et comment leur prix est fixé. La préoccupation première d’un médecin hospitalier, c’est d’avoir accès aux médicaments pour  ses patients. Donc, je trouvais intéressant de mieux comprendre comment tout cela fonctionne.

Mon second intérêt était de pouvoir retrouver une vision élargie de la médecine. Quand vous devenez très spécialisé sur quelques pathologies, comme c’est mon cas, vous perdez un peu de vue l’universalité de la médecine. Travailler pour la commission m’a permis de voir tout ce qui se passe dans les autres disciplines. C’est très enrichissant, y compris pour ma propre pratique médicale.

Enfin, moi qui fais de la recherche, qui ai été amené à être investigateur d’essais cliniques, voire à construire des essais, je trouvais intéressant de pouvoir travailler avec des méthodologistes, des biostatisticiens, des épidémiologistes. Ils nous aident, à chaque réunion de la commission, à analyser correctement les données des essais cliniques et à évaluer rigoureusement le niveau de preuve scientifique apporté par les résultats de ces essais.

Je tiens à préciser qu’il n’y a pas d’intérêt financier à être membre de la Commission. La rémunération est faible par rapport à la charge de travail. Quand je suis rapporteur sur le dossier d’un médicament, j’ai environ un week- end et deux longues soirées de travail de préparation, travail que je fais en plus de mon activité de praticien hospitalier.

Est-ce que vous avez des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique ?

Aucun ! Avant d’entrer à la Commission de la Transparence, j’avais participé en tant qu’intervenant à deux symposiums organisés par des laboratoires. Pendant un an, je n’ai participé à aucune discussion sur des produits de santé venant de ces industriels. Les liens d’intérêt, c’est-à-dire principalement toute rémunération directe provenant d’un laboratoire, sont extrêmement contrôlés par la HAS. C’est une bonne chose, mais, dans le même temps, ça peut parfois compliquer le recrutement d’experts. Dans beaucoup de domaines médicaux, il est difficile d’en trouver sans aucun lien d’intérêt…

Quel est le rôle précis de la Commission de la Transparence ?

Notre rôle est de donner un avis scientifique sur un médicament dans une indication donnée, à partir des données qui nous sont fournies par l’industriel qui développe ce médicament. Ni plus, ni moins. On nous prête souvent plus de pouvoir que nous n’en avons réellement… Tout ce qui concerne l’accès aux médicaments et le prix de ceux-ci n’entre pas dans nos prérogatives. Notre évaluation repose sur deux notes. La première est ce que l’on appelle le service médical rendu ou SMR. Les critères d’attribution de cette première note sont inscrits dans la loi. Pour faire simple, il s’agit de déterminer l’intérêt du médicament évalué par rapport à la pathologie concernée et aux éventuels traitements déjà existants. Le SMR est soit suffisant (avec plusieurs niveaux : important, modéré ou faible), soit insuffisant. Dans le premier cas, cela signifie simplement que, sur le plan scientifique, au vu des données d’évaluation, la commission estime que le niveau de preuve est suffisant pour préconiser la prise en charge par la collectivité du médicament concerné. La décision revient ensuite aux services du ministère de la Santé. La seconde note que nous attribuons est l’amélioration du service médical rendu ou ASMR. Elle vise à déterminer ce qu’un nouveau médicament apporte en plus par rapport aux traitements déjà existants dans la même indication. Les critères d’attribution de cette note sont définis dans un document que nous appelons la doctrine de la Commission de la Transparence. Ces critères nous permettent de rendre des avis cohérents à partir de preuves scientifiquement valables.

L’ASMR, qui va de 1 (amélioration majeure) à 5 (absence d’amélioration) est ensuite utilisée pour fixer le prix du médicament lors des négociations entre l’instance publique qui en est chargée, le Comité économique des produits de santé (CEPS), et l’industriel.

La Commission a été critiquée récemment pour avoir attribué des ASMR 5, ce qui de fait empêche l’accès aux médicaments concernés. Que répondez-vous à ces critiques ?

Je le répète, les questions d’accès et de fixation de prix ne rentrent pas dans nos prérogatives. On nous critique sur des aspects sur lesquels nous n’avons aucune prise. Le système de la liste en sus, qui permet la prise en charge par l’Assurance maladie des médicaments particulièrement coûteux utilisés au cours d’une hospitalisation (en plus du tarif hospitalier), est un dispositif qui paraît inéquitable et injuste si on le compare aux médicaments prescrits en pharmacie de ville qui peuvent être accessibles dès lors que la Commission de la Transparence a donné un avis favorable au remboursement. Ainsi, en cas d’ASMR 5, s’il n’y a pas de médicament  comparable déjà inscrit sur cette liste, le nouveau médicament ne peut y figurer et donc le coût du traitement est à la charge de l’hôpital, ce qui en limite l’accès s’il est très coûteux. Je suis bien d’accord, c’est incompréhensible pour les médecins et les patients, surtout quand le SMR a été jugé suffisant. Mais la Commission de la Transparence n’y peut rien… Nous, on nous demande d’évaluer le dossier sur le plan scientifique, nous avons à juger notamment la robustesse de la preuve scientifique. Il faudrait une évolution de la législation pour que cette situation de la liste en sus change.

Est-ce que les preuves scientifiques sont aujourd’hui moins solides que par le passé ?

On assiste depuis une dizaine d’années à une forte dégradation du niveau de preuve apporté par les essais cliniques. Les agences du médicament états-unienne et européenne ont souhaité accélérer le développement des médicaments destinés à traiter des maladies graves pour lesquelles « le besoin médical » n’était pas ou insuffisamment couvert. Ces agences ont donc commencé à accorder des autorisations de mise sur le marché à partir d’essais réalisés sans comparaison. Or, ce type d’essai, où tous les patients reçoivent le traitement évalué, sans le comparer à un traitement de référence, expose à un grand nombre d’incertitudes et de biais. L’effet propre du traitement est difficile, voire impossible à déterminer en l’absence de comparaison, c’est bien connu et démontré depuis très longtemps. Nous avons ainsi aujourd’hui beaucoup de dossiers reposant sur des résultats issus d’essais non comparatifs, c’est devenu très fréquent en onco-hématologie. Il nous est donc très difficile de déterminer ce qu’ils apportent en plus par rapport aux traitements déjà disponibles. D’où les ASMR 5…

Mais dans certaines circonstances, notamment pour les malades qui ont déjà présenté plusieurs rechutes de leur cancer, il est difficile, voire non éthique, de faire des essais comparatifs…

Évidemment, il n’est pas possible de faire un essai randomisé chez des patients qui sont en 3e ou 4e ligne de traitement. Mais rien n’empêche de faire des essais randomisés chez des patients qui sont moins avancés dans la maladie, voire dès la première ligne de traitement, où les médicaments ont d’ailleurs plus de chance d’être efficaces. Je suis bien sûr favorable à ce qu’on puisse disposer le plus rapidement possible des traitements présumés innovants. Mais, il est indispensable que leur éventuel bénéfice soit ensuite confirmé. Or, bien souvent, cette confirmation n’est pas apportée. Les industriels ne font pas toujours d’essais comparatifs. Et quand ces essais sont réalisés, dans la moitié des cas environ, leurs résultats montrent que le médicament dit innovant n’apporte finalement pas ou très peu de réel bénéfice pour les patients. En d’autres termes, avec les AMM basées sur des développements accélérés, il y a sur le marché pas mal de médicaments qui n’apportent rien ou pas grand-chose, voire qui peuvent dégrader la qualité de vie des patients en raison de leurs effets indésirables, et qui coûtent très cher à la collectivité. D’une part, ce n’est pas honnête vis-à-vis des malades, d’autre part, cela met à mal la soutenabilité financière de l’Assurance maladie.

Il y a actuellement beaucoup d’incertitudes dans l’évaluation des médicaments. L’agence états- unienne du médicament, la FDA, est d’ailleurs en train de faire le bilan des procédures d’approbation accélérée des médicaments et, globalement, le bilan est plutôt négatif.

Propos recueillis par Charlotte Roffiaen et Franck Fontenay

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