Pesticides : ne pas faire le choix du cancer

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Pesticides : ne pas faire le choix du cancer Rappelons les faits.

Il existe une forte présomption d’un lien entre l’exposition à plusieurs pesticides et le développement de cancers de la prostate (1–3), de lymphomes(4–9) et de leucémies (10–13). L’exposition aux pesticides in utero (14–16) ou au cours de la petite enfance dans un contexte professionnel ou domestique accroit aussi le risque de certains cancers pédiatriques (17–19). Les populations les plus vulnérables sont celles vivant à proximité des zones d'épandage (20,21) ; ainsi, la densité des surfaces viticoles dans un rayon d'un kilomètre autour des habitations augmente la probabilité de leucémies infantiles (10). Les pouvoirs publics ont inscrit ces cancers de l’adulte aux tableaux des maladies professionnelles. Pour être clair, si un agriculteur ou un jardinier qui a été exposé au moins 10 ans à un pesticide souffre d’un lymphome (i) ou d’un cancer de la prostate (ii) (ou même d’une maladie de Parkinson), il pourra demander une indemnisation à la Sécurité Sociale et à son employeur le cas échéant. Il pourra également accéder au Fond d’Indemnisation des Victimes des Pesticides (FIVP, créé en 2020) (iii). L'imprégnation des françaises et des français reste inquiétante puisqu’on a pu identifier des insecticides pyréthrinoïdes (22) et organochlorés (23) dans, respectivement, 99% et 90% des échantillons biologiques prélevés sur nos concitoyens. En outre, le glyphosate a été détecté dans les urines de 17% de la population et l’AMPA, un produit de dégradation, biologiquement actif, chez plus de 70 % des adultes et de 93 % des enfants testés (iv). Enfin, plus de 12 millions de français ont consommé en 2021 une eau non conforme aux critères de qualité en raison de la présence de pesticides dépassant les normes sanitaires (24). Les tragédies passées, comme celle de la contamination de la population antillaise par le chlordécone, un pesticide utilisé dans les bananeraies, auraient dû instruire nos dirigeants quant à l’étendue de leurs responsabilités (v). L'inaction des autorités sanitaires et politiques malgré les données disponibles sur la toxicité de ce produit pour les humains a engendré une pollution persistante de toute la chaîne alimentaire associée à une multiplication de pathologies graves dont des cancers de la prostate. Le constat est accablant et l’Assemblée nationale a d’ailleurs reconnu la responsabilité de l’Etat dans les préjudices subis par les Antillais (vi).

Initié en 2008, le premier plan Ecophyto, censé réduire de moitié la consommation de pesticides en dix ans, s’est soldé par un échec. Il en va de même pour les plans Ecophyto 2 et 2 +, qui visaient le même objectif à l’horizon 2025 puis 2030 (vii). En février, le gouvernement a jugé bon de suspendre le plan Ecophyto 3. Il décide maintenant, dans le nouveau plan dévoilé le 6 mai, de le relancer en modifiant l’indicateur d’usage des pesticides (NoDU) qui avait pourtant fait ses preuves. Il sera remplacé par un outil de mesure européen insuffisant (HRI-1)(viii). Avec son nouveau plan Ecophyto, le gouvernement persiste dans une politique d’immobilisme vieille de vingt ans. L’exposition délibérée, que ce soit des agriculteurs et de leurs familles ou de la population en général, à des substances nocives (ou dont la nocivité est encore inconnue pour les pesticides en cours d’agrément) va perdurer. La proposition d’un « dispositif d’indemnisation des riverains » telle qu’elle est proposée par le gouvernement, même si elle est indispensable, ne peut être considérée comme une politique préventive visant à protéger l’ensemble de nos concitoyens contre l’exposition à des produits agrochimiques. Il ne s’agit évidemment pas de nier ici la crise profonde que traverse le monde agricole et des situations désespérées qu’elle peut engendrer. Cependant, encourager une agriculture productiviste fondée sur une chimie mortifère, au détriment de la santé des exploitants, des ouvriers agricoles, des riverains et de la population dans son ensemble, ne résoudra pas les maux du monde rural. La création en 2011 par des agriculteurs de l’association Phyto-victimes (ix) atteste que le monde paysan est aussi conscient de la dégradation de ses conditions sanitaires du fait de l’usage massif des pesticides. Ce dont nous avons besoin, c'est d'une politique volontariste et courageuse. Le nombre de cancers ne cesse d’augmenter en France avec 433 000 nouveaux cas par an, soit un doublement en 30 ans. Quarante pour cent de ces cancers sont évitables, c’est-à-dire n’apparaîtraient pas si l’exposition aux facteurs de risque connus était prévenue, aux premiers rangs desquels le tabagisme et la consommation d’alcool (x). L'Institut National du Cancer a placé la prévention parmi les priorités de sa stratégie décennale de lutte contre les cancers (xi) mais celle-ci doit s’accompagner d’un engagement fort des pouvoirs publics pour limiter les sources d'exposition aux agents cancérogènes, que ce soit dans l'environnement professionnel ou domestique.

Nous, patients, chercheurs, soignants, personnes impliquées dans des associations, des sociétés savantes, caritatives ou des institutions qui nous battons au quotidien contre le cancer ne pouvons accepter que la santé publique soit sacrifiée à des intérêts court-termistes. Apaiser la colère légitime du monde agricole en perpétuant son exposition aux pesticides n’est pas la solution. Il est encore temps pour le gouvernement de reconsidérer ses décisions qui mettent en danger la vie de nos concitoyens. Nos responsables politiques doivent avoir le courage de faire le choix de la santé publique, pas celui du cancer.

Liste des signataires

https://docs.google.com/document/d/1_BWdPsFiyuItQDS9D28jlWTpNczLOCzX-Nz8fUjNYUI/edit

i https://www.inrs.fr/publications/bdd/mp/tableau.html?refINRS=RA%2059 ii https://www.inrs.fr/publications/bdd/mp/tableau.html?refINRS=RG%20102 iii https://fonds-indemnisation-pesticides.fr/qui-est-concerne/ iv https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/exposition-aux-pesticides-de-la-population-francaise-resultats-de-l-etude-esteban v https://www.senat.fr/rap/r22-360/r22-3601.html#toc2 vi https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/responsabilite_indemnisation_chlordecone

vii https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-bilan-des-plans-ecophyto viii https://hal.science/hal-04564733 ix https://www.phyto-victimes.fr/ x https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers#:~:text=L'estimation%20du%20nombre%20total,9%20000%20et%208%20000). xi https://www.e-cancer.fr/content/download/462633/7004699/file/Strat%C3%A9gie%20d%C3%A9cennale%20de%20lutte%20contre%20les%20cancers%202021-2030,%20deuxi%C3%A8me%20rapport%20au%20pr%C3%A9sident%20de%20la%20R%C3%A9publique.pdf

1. Koutros S, Beane Freeman LE, Lubin JH, et al. Risk of Total and Aggressive Prostate Cancer and Pesticide Use in the Agricultural Health Study. American Journal of Epidemiology. 2013;177(1):59–74.

2. Alavanja MCR, Samanic C, Dosemeci M, et al. Use of Agricultural Pesticides and Prostate Cancer Risk in the Agricultural Health Study Cohort. American Journal of Epidemiology. 2003;157(9):800–814.

3. ANSES. Saisine n°2018-SA-0267 « MP- Pesticides et cancer de la prostate ». 2021;

4. Merhi M, Raynal H, Cahuzac E, et al. Occupational exposure to pesticides and risk of hematopoietic cancers: meta-analysis of case–control studies. Cancer Causes Control. 2007;18(10):1209–1226.

5. Khuder S, Schaub E, Keller-Byrne J. Meta-analyses of non-Hodgkin’s lymphoma and farming. Scand J Work Environ Health. 1998;24(4):255–261.

6. Boffetta P, De Vocht F. Occupation and the Risk of Non-Hodgkin Lymphoma. Cancer Epidemiology, Biomarkers & Prevention. 2007;16(3):369–372.

7. Keller-Byrne JE, Khuder SA, Schaub EA, McAfee O. A meta-analysis of non-Hodgkin’s lymphoma among farmers in the central United States. Am J Ind Med. 1997;31(4):442–444.

8. Koutros S, Alavanja MCR, Lubin JH, et al. An Update of Cancer Incidence in the Agricultural Health Study. Journal of Occupational & Environmental Medicine. 2010;52(11):1098–1105.

9. Lemarchand C, Tual S, Levêque-Morlais N, et al. Cancer incidence in the AGRICAN cohort study (2005–2011). Cancer Epidemiology. 2017;49:175–185.

10. Mancini M, Hémon D, de Crouy-Chanel P, et al. Association between Residential Proximity to Viticultural Areas and Childhood Acute Leukemia Risk in Mainland France: GEOCAP Case-Control Study, 2006–2013. Environmental Health Perspectives. 2023;131(10):107008.

11. Bailey HD, Fritschi L, Infante‐Rivard C, et al. Parental occupational pesticide exposure and the risk of childhood leukemia in the offspring: Findings from the childhood leukemia international consortium. Intl Journal of Cancer. 2014;135(9):2157–2172.

12. INSERM. Pesticides et effets sur la santé : nouvelles données. 2021;

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14. Flower KB, Hoppin JA, Lynch CF, et al. Cancer risk and parental pesticideapplication in children of Agricultural Health Study participants. Environmental Health Perspectives. 2004;112(5):631–635.

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17. Gunier RB, Kang A, Hammond SK, et al. A Task-based Assessment of Parental Occupational Exposure to Pesticides and Childhood Acute Lymphoblastic Leukemia. Environ Res. 2017;156:57–62.

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20. Coste A, Goujon S, Faure L, Hémon D, Clavel J. Agricultural crop density in the municipalities of France and incidence of childhood leukemia: An ecological study. Environ Res. 2020;187:109517.

21. Rull RP, Gunier R, Von Behren J, et al. Residential proximity to agricultural pesticide applications and childhood acute lymphoblastic leukemia. Environ Res. 2009;109(7):891–899.

22. Santé Publique France. Imprégnation de la population française par les pyréthrinoïdes. Programme national de biosurveillance, Esteban 2014-2016. 2021;

23. Santé publique France. Imprégnation de la population française par les organochlorés spécifiques et les chlorophénols. Programme national de biosurveillance, Esteban 2014-2016. 2021;

24. Foucart S. Pesticides : de l’eau potable non conforme pour 20 % des Français. Le Monde. 2022;